Rapport du Mois de Juillet 2021
Rapport-Bilan sur l’état de la justice Burundaise depuis le retrait du Burundi de la CPI.
TABLE DES MATIERES
- SIGLES ET ABREVIATIONS.
- INTRODUCTION..
- La justice burundaise reste incapable de voler au secours des victimes des violations graves. 6
- La justice burundaise impliquée dans la répression continue des opposants, défenseurs des droits humains et journalistes.
- Recommandations.
0. SIGLES ET ABREVIATIONS
CB-CPI : Coalition Burundaise pour la Cour pénale internationale
CPI : Cour pénale internationale
CNDD-FDD : Conseil National pour la Défénse de la Démocratie Forces de Défense de la
Démocratie
Ex-FAB : Ex- Forces armées Burundaises
ONU : Organisation des nations unies
1. INTRODUCTION
A l'occasion de la célébration de la journée internationale dédiée à la justice pénale internationale ce 17 juillet 2021, la Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale dresse ce rapport-bilan quant à l’état de la justice burundaise depuis que le Burundi s’est retiré du statut de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale (CPI).
En effet, le 17 juillet de chaque année, le monde célèbre la journée dédiée à la justice pénale internationale, cette année coïncide avec les vingt cinquième anniversaires de l’adoption du statut de Rome portant création de la CPI. La date du 17 juillet vient au moment où une répression aveugle contre les opposants politiques et les défenseurs des droits humains se poursuit depuis avril 2015. Ainsi, le Gouvernement du Burundi n’a cessé d’outrager tous les fondements d’un état de droit et l’impunité des agents étatiques impliqués dans divers crimes graves est devenue endémique.
Le 27 octobre 2017, le Burundi est devenu le premier pays à se retirer du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Deux jours plus tôt, le 25 octobre 2017, la Chambre préliminaire III de la CPI avait autorisé le Procureur auprès de la Cour à ouvrir une enquête sur les allégations de crimes contre l’humanité commis entre le 26 avril 2015 et le 26 octobre 2017. La décision sous embargo n’a été rendue publique que le 9 novembre 2017. Cette Intervention de la CPI a été consécutive à des crimes graves commis contre des citoyens burundais depuis avril 2015.
Cette répression est toujours d’actualité et s'opère dans un climat de dysfonctionnement grave de l’appareil judiciaire burundais où la plupart des magistrats sont devenus de simples militants zélés au service du pouvoir en place. En outre, si la lutte contre l’impunité par tous les moyens de droit est une meilleure voie de prévenir des violences et préserver les générations futures des maux engendrés par ce fléau, le Burundi vit paradoxalement une impunité qui a substantiellement contribué à l’alimenter la crise qui secoue le Burundi depuis plusieurs années. Ainsi, cette justice qui ne cesse de souiller son image est exercée par des hommes et des femmes parmi lesquels figurent certains qui, malheureusement, font honte au pouvoir judiciaire pourtant doté d’une mission si noble : celle d'être gardien des droits et des libertés et d'assurer le respect de ces droits et libertés dans les conditions prévues par la loi.[1]La CB-CPI salue l’action déjà menée par la CPI depuis l'ouverture de l'enquête sur les crimes contre l’humanité commis au Burundi et souhaite ardemment que les étapes suivantes soient franchies dans l’avenir proche.
La crise qui dure déjà six ans a eu de nombreuses conséquences tant sur le plan sécuritaire, humanitaire et des droits humains. Les conditions de vie socio-économiques des Burundais se sont détériorées et les relations diplomatiques entre le Burundi et ses voisins ainsi que d’autres partenaires classiques sont au niveau le plus bas.
Face à une crise politique toujours rampante, l’un des secteurs les plus touchés se trouve être celui de la justice burundaise qui peine à se libérer des griffes de l’exécutif burundais qui en a fait un outil de répression qu’il manipule à sa guise. Concrètement, alors que l’article 60 de la Constitution érige le pouvoir judiciaire burundais en une institution protectrice des droits et des libertés des citoyens, il est devenu plutôt un outil de répression utilisé pour frapper de plein fouet contre les opposants, défenseurs des droits humains et tous citoyens supposés ne pas soutenir le régime en place.
Dans ce rapport de la CB-CPI, loin de vouloir revenir de façon exhaustive sur l’ensemble des manquements caractérisant la justice burundaise, elle cherche plutôt à offrir une image synthétique de l’appareil judiciaire depuis que le Burundi a décidé de se retirer du statut de Rome portant création de la CPI.
En outre, il importe de souligner que le retrait en question fut une mesure tendant à encourager et/ou à réconforter les criminels qui sont systématiquement mis à l’abri de toutes poursuites judiciaires sur le plan national. Par ailleurs, l’article 50 de la Constitution de 2018 préconise qu’aucun burundais ne peut être extradé pour être jugé en dehors du Burundi.
2. La justice burundaise reste incapable de voler au secours des victimes des violations graves
Le 5 juillet 2018, le Parlement européen a adopté une résolution sur le Burundi (2018/2785(RSP)) dans laquelle il dénonçait la poursuite des violations des droits de l’homme et de l’impunité au Burundi et réaffirme son soutien aux sanctions prises par l’Union européenne. Le Parlement européen avait adopté des résolutions similaires sur le Burundi et avait pris des sanctions visant Alain Guillaume alors ministre de la sécurité publique ainsi que son ancien chef de cabinet Gervais NDIRAKOBUCA alias NDAKUGARIKA. Ces deux personnalités, malgré les graves soupçons qui pèsent sur elles et les sanctions qui leur ont été infligées par la Communauté internationale, occupent des postes-clé au sein du régime dirigé par Evariste NDAYISHIMIYE.
S’il est vrai que la Cour Pénale Internationale n’a pas encore rendu publique la liste des auteurs des crimes graves qui doivent être poursuivis, rien n’étonnerait si des mandats viseraient certaines des autorités burundaises pour des évidentes raisons de leur implication directe ou indirecte dans la commission des crimes décriés.
Selon le rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi de 2018, au cours du premier terme de son mandat[2], il a été documenté de très nombreux cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants commis depuis avril 2015.
La Commission s’est concentrée sur les cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés depuis 2017. Elle a constaté la persistance de cas de torture et de mauvais traitements et a noté une continuité des méthodes de torture employées et de leurs séquelles, ainsi qu’une certaine évolution s’agissant du profil des victimes et des auteurs, ainsi que des fins poursuivies. La Commission s’est également entretenue avec des personnes qui ont été arrêtées, torturées ou maltraitées au cours de la période couverte durant le premier terme de son mandat. Ces témoignages ont confirmé les informations et conclusions en matière de torture et de mauvais traitements que la Commission avait détaillées dans son rapport précédent, mais ils n’ont pas été utilisés dans le présent rapport.
Cependant, l’article 18, alinéa 2 de la Constitution de 2018 dispose que « le Gouvernement respecte la séparation des pouvoirs, la primauté du droit et les principes de la bonne gouvernance et de la transparence dans la conduite des affaires publiques ».
Dans la pratique, la plupart des autorités burundaises sont parmi les commanditaires des crimes graves et certaines d’entre elles ont été ciblées par différentes ONG comme ayant été impliquées dans le désastre humain orchestré par les agents de l’Etat.
Un exemple le plus éloquent mais qui n’est pas isolé est celui de M. Révérien Ndikuriyo ex-président du Sénat et actuel secrétaire général du CNDD-FDD qui s’est illustré par un carnage humain publiquement assumé. Au lieu d’être poursuivi pour les crimes de sang, il a été plutôt promu au titre de patron du parti au pouvoir. Les premiers propos graves qu’a retenus l’opinion publique à propos de cet ancien président du sénat sont ceux à travers lesquels il appelait les administratifs à la base à accélérer un génocide contre les Tutsi après quoi ils allaient s’approprier de leurs biens. Il avait à l’époque utilisé le vocable « KORA » qui a été utilisé au Rwanda voisin lors du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994.
Comme cela ne suffisait pas et dans la suite, alors qu’il était toujours le président de la prestigieuse institution qu’est le sénat, selon le journal en ligne de la Radio Internationale RFI[3], « le président du Sénat burundais est au centre d'une polémique après la fuite sur les réseaux sociaux d'un enregistrement où on l'entend expliquer le 11 septembre dernier, comment il avait mis à prix la tête d'un homme en 2015 dans la commune de Matana, dans le sud».
Selon le même journal, « La fuite de cet enregistrement est catastrophique », reconnaît un haut responsable burundais. On y entend très clairement le président du Sénat burundais raconter, devant un auditoire conquis, comment il a commandité en 2015 dans la commune de Matana, l’élimination d’un homme qu'il accusait de semer la désolation à cette époque.
« Lorsque j'y suis allé, j'ai dit : je veux Kaburimbo mort ou vif, je donnerais 5 millions [environ 2 450 euros] à celui qui me ramène sa tête et c'est devenu une compétition, raconte Réverien Ndikuriyo. On ne peut pas laisser une seule personne perturber la sécurité d'une commune, il faut l'éliminer dans ce cas. Il ne reste plus qu'à demander à Dieu si on a commis un péché en protégeant ses brebis. »
« De quel droit il peut juger des gens, condamner à mort des citoyens burundais sans aucune forme de procès ? interroge Pacifique Nininahazwe, militant des droits de l’homme. Les propos de Réverien Ndikuriyo sont comme une confirmation sur l’implication de hautes autorités burundaises dans les crimes au Burundi. Il avoue que lui-même soutient et finance des exécutions sommaires. »
3. La justice burundaise impliquée dans la répression continue des opposants, défenseurs des droits humains et journalistes.
La justice burundaise accuse d’innombrables manquements et parmi ces derniers, elle vient de condamner à perpétuité les défenseurs des droits humains, journalistes opposants politiques pour avoir simplement dénoncé régulièrement les abus commis par le régime. Ils ont abusivement été accusés d’être des putschistes et condamnés à travers une procédure totalement biaisée par des magistrats corrompus et qui sont à la solde du régime en place.
Tous ces dossiers judiciaires destinés à opprimer les opposants ou citoyens présumés comme tels fragilisent à outrance le pouvoir judiciaire burundais qui ne peut plus avoir aucun espace d’indépendance et est prêt à céder à toutes les sollicitations y compris les plus illégales.
La condamnation décriée a démontré à quel point le régime du CNDD-FDD est déterminé à museler toutes voix critiques et cela s’est par ailleurs manifesté à travers l’emprisonnement arbitraire du député Fabien BANCIRYANINO. Le même régime est autant déterminé à museler le pouvoir judiciaire qui n’a plus de référence à la loi mais à « l’état-major » du parti au pouvoir.
En outre, en octobre 2020, la Cour suprême du Burundi a rendu l’un des arrêts qui marqueront les annales de la justice burundaise non pas par ses mérites mais surtout pour son caractère inique, scandaleux, politiquement et ethniquement orienté.
Ainsi, à travers l’arrêt RPS 97/ML le régime du CNDD-FDD a forcé la main de la justice burundaise pour condamner par un emprisonnement à perpétuité une vingtaine de personnalités issues de l’ancien régime du parti UPRONA et des Ex-FAB à majorité Tutsi tandis que la partie civile était constituée exclusivement par l’Etat du Burundi.
Les critiques qui peuvent être formulées contre cet arrêt sont nombreuses surtout que la majorité de personnes condamnées n’étaient pas présentes au pays pour pouvoir présenter leurs moyens de défense en vertu de l’article 40 de la Constitution qui prévoit en substance que : « Toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public durant lequel les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées. ».
Cette disposition est corroborée par les dispositions pertinentes de la déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Pacte International relatif aux droits civils et politiques. Comme le disait Alexandre François Auguste Vivien et qui a mis en garde : « Si (…) l’administration se substituait à la justice, elle serait exposée à subordonner les droits privés à l’intérêt public, à méconnaître, en vue du salut de l’Etat, la propriété, la liberté et à mettre l’arbitraire à la place du droit. Le jour où la justice tomberait entre les mains de l’administration, il n’y aurait plus pour les citoyens ni garanties, ni sécurité »[4]. C’est dire que la concentration des pouvoirs entre les mains d'une même personne se traduirait par le despotisme[5].
4. Recommandations
Face à tout ce qui précède, la CB-CPI :
- Encourage la CPI et ses divers organes à franchir les étapes qui suivent sans tarder, en émettant notamment des mandats d’arrêt contre les présumés auteurs des crimes graves toujours en cours au Burundi depuis avril 2015 ;
- Demande à la Communauté internationale, particulièrement l’Union Européenne de rester ferme par rapport au respect des conditions exigées en matière de droits humains, la démocratie et l’espace civique avant la reprise de la coopération entre les deux entités;
- Appelle le Gouvernement du Burundi à cesser toutes les formes de violence orchestrée contre la population et à œuvrer pour la cohésion du peuple burundais au nom des générations futures ;
Appelle la population en général et les victimes en particulier de continuer à dénoncer les violations dont elles sont victimes ou ont connaissance et encourage les organisations de défense des droits humains en cette période si cruciale pour la vie socio-politique du pays à rester engagées et déterminées.
[1] Article 60 de la constitution de la république du Burundi
[2] Voir A/HRC/36/CRP.1, par. 400 à 443.
[3] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190928-burundi-president-senat-scandale-kaburimbo
[4] Alexandre François Auguste Vivien, Études administratives, Tome I, Librairie des Guillaumin &Cie, Rue Richelieu, Paris, 1859, pp. 17-18.
[5] Du grec despotês (= maître), le despotisme est la forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté est exercée par une autorité unique (une seule personne ou un groupe restreint) qui dispose d'un pouvoir absolu. Le despotisme implique souvent un pouvoir autoritaire, arbitraire, oppressif, tyrannique, sur tous ceux qui lui sont soumis. Le despotisme est l'une des trois formes de gouvernement (avec la république et la monarchie) que Montesquieu distingue dans "L'esprit des lois". Pour lui le despotisme, qui est le mal absolu, est le pouvoir d'un seul homme, sans règle, si ce n'est celle de son bon plaisir, pouvoir fondé sur la crainte. Le philosophe en déduit la nécessité de la séparation des pouvoirs afin d'éviter le despotisme et de préserver la liberté. Les formes suivantes de gouvernement pouvant être considérées comme despotiques : Autocratie, la dictature , la monarchie absolue, l’oligarchie etc.